Points de bifurcation
Dans la théorie des systèmes complexes, un point de bifurcation est le moment où un nouvel ordre prend racine dans le présent. Vu d’aujourd’hui, ça semble simple or ce qui en 1977 valut à Ilya Prigogine le prix Nobel peut être en soi un point de bifurcation. En démontrant leur existence dans sa théorie des systèmes dissipatifs il a démontré que l’univers n’est pas déterminé. Il a ainsi remis en question l’universalité de la science déterministe, la reléguant à une science d’exception. C’est aussi important qu’Einstein.
Les sociétés, les économies ou les organisations se comportent comme des systèmes complexes. Les points de bifurcation sont des évènements qui y interviennent lorsque le système est sous pression. Dans un contexte critique, plutôt que de s’autodétruire, le système cherche à s’adapter aux contraintes de son contexte. L’éclosion d’un point de bifurcation fera apparaître un changement de perception global du système par lui-même qui peu provoquer l’émergence d’un nouvel ordre de fonctionnement devenu nécessaire pour permettre au système de survivre.
Ce sont les moments ou l’histoire s’écrit.
Le printemps Arabe est un exemple de points de bifurcation. Ainsi que l’émergence spontanée du mouvement « Occupy Wall Street ». Résultats d’une société en état de stress, le nombre de points de bifurcation se multiplie et c’est normal. L’effervescence politique et économique devient palpable. Les attentes de changements deviennent tangibles. L’énergie de changement augmente jour après jour partout sur la planète. Le système devient instable alors l’éclosion de points de bifurcation se multiplient.
Au Canada, nous avons assisté, il y a un an, à un point de bifurcation très intéressant : la réorganisation de la scène politique canadienne qui a subitement quitté le centre, historiquement occupé par les libéraux et les progressistes conservateurs, pour se polariser beaucoup plus intensément entre la droite des conservateurs et la gauche du NPD. C’est un changement de cadre de référence important qui s’est fait subitement. Nous verrons l’ampleur de son impact aux prochaines élections. (voir le billet que j’ai écrit à l’époque)
Le Québec ne fait pas exception
Au Québec, la même chose vient de se produire, du moins je le crois. La performance de Françoise David au débat des chefs a subitement fait apparaître un nouvel espace politique dans lequel les gens se sont reconnus. L’impact à moyen terme pourrait être important. Soudain, Québec Solidaire est passé du statut d’hypothèse sympathique mais irréaliste à une possibilité concrète qui pourrait devenir accessible. Ça pourrait être la naissance d’un nouvel espace de réflexion politique qui pourrait attirer de plus en plus d’intellectuel et à terme provoquer un changement de régime politique qui résulterait en un changement d’ordre ou de cadre de référence dans la gouvernance économique du Québec.
Il se pourrait que nous assistions à l’émergence d’un point de bifurcation, d’un changement d’attitude des électeurs que l’histoire retiendra. Subitement les gens pourrait découvrir que la politique peut aussi proposer un fonctionnement d’état, pas seulement un fonctionnement d’économie. Ce changement d’attitude de l’électorat pourrait aussi bénéficier à Option Québec qui propose aussi un nouveau fonctionnement d’état.
Le temps du changement
Évidemment, les changements ne se font pas rapidement mais ce point de bifurcation pourrait signifier que lors des prochaines élections, l’argumentaire pourrait ne plus se faire principalement autour des concepts de fédéralisme et de séparatisme mais aussi autour des concepts de société favorisant le développement des individus avant la collectivité ou encore de la collectivité avant les individus. En d’autres termes, le choix pourrait aussi se poser entre une démocratie économique ou une démocratie sociale.
Le futur se prépare, il nous arrive.
En ces temps turbulents où tout est impermanent, la prudence impose de ne rien prendre pour acquis. On ne peut plus prendre pour acquis que le futur est simplement la suite du passé et que les règles qui nous permettaient de bien décider hier seront celle qui nous le permettront demain.
On ne peut pas savoir ce que nous réserve le futur mais on peut détecter et suivre l’émergence des points de bifurcation qui le caractériseront. On peut aussi distinguer ceux qui n’auront pas d’effets structurant de ceux qui pourraient se traduire par des changements importants. Mais ces derniers ne peuvent devenir des opportunités que si on s’y prépare. Alors soyons alertes.
4 Commentaires
Monsieur Lusignan,
vous dites et je cite : « On ne peut pas savoir ce que nous réserve le futur mais on peut détecter et suivre l’émergence des points de bifurcation qui le caractériseront. »
Cette affirmation est erronée, pour la simple raison qu'il est impossible, dans un système non déterministe, de savoir à quel moment les intrants du système seront modifiés par un quelconque événement lui-même tout à fait non déterministe. Le reste de votre hypothèse est à l'avenant.
Il faut toujours faire attention quand on veut appliquer une théorie propre à un domaine à un autre domaine. Autrement dit, il n'existe pas de correspondance entre l'ontologie d'un domaine d'application et celle d'un autre domaine d'application.
Bonjour M. Fraser
Votre commentaire m’amène à préciser ma pensée. En effet, vous prétendez que j’applique une opération déterministe « savoir à quel moment … » à un système non-déterministe et vous concluez que c’est impossible à faire. Or je ne prétends jamais essayer de savoir à quel moment, mais j’affirme plutôt que l’on peut détecter les sources de discontinuités possibles et les formes de réorganisation qui peuvent en résulter. Dans mon billet, je soulève seulement que Françoise David a possiblement provoqué un point de bifurcation en faisant apparaître un espace de possibilités dans lequel plein de gens pourraient investir leur savoir et leur compétence, ce qui pourrait le faire grandir jusqu’à le voir occuper une place dominante dans l’espace politique du Québec.
D’autre part, vous prétendez que « on ne peut pas savoir à quel moment les intrants d’un système non-déterministe seront modifiés par un quelconque évènement lui-même non déterministe » mais les intrants de la société ne sont pas tous complexes, certains sont très simples et fonctionnent selon des règles déterministes. Par exemple, si vous consommez des ressources à un rythme supérieur à celui de sa régénération, vous les fragilisez et courez des chances de provoquer leur effondrement. C’est ce qui est arrivé avec les morues et c’est ce que nous faisons subir à plusieurs ressources de la biosphère. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que se répète ce type d’effondrement et être assez prévenant pour surveiller l’émergence d’indicateurs qui les annonceraient.
Enfin, notre société est un système qui s’autorégule et qui a de l’inertie, ce qui fait qu’à court terme, elle se comporte souvent comme un système déterministe. C’est ce qui nous permet de mettre sous observation les zones de fonctionnement qui subissent le plus de pressions et qui sont donc les plus susceptibles de voir éclore des points de bifurcation.
En conclusion, il est vrai qu’on ne peut pas savoir ce que sera le futur mais dans une majorité de cas, on peut prévoir les différentes formes qu’il peut prendre et surtout certaines qu’il ne peut pas prendre, ce qui nous permet de nous préparer et de participer à le choisir, ce futur, pour pouvoir moins le subir.
Combien de point de bifurcation il faudra à l'intérieur du cadre économique actuel pour comprendre qu'il faut en sortir.Les points de bifurcation récent n'en sont pas réellement car les références pour soit disant régler une problématique sont toujours en fonction du cadre économique actuel qui est lui-même la cause du défaut.
Bonne question Alain, et je comprend ton impatience ! Mais, soyons optimiste. Un point de bifurcation est fondamentalement l’émergence d’une nouvelle perspective dans laquelle des alternatives à la situation actuelle peuvent grandir, se développer, être adoptées par plusieurs personnes et finalement prendre racine dans la réalité.
La société est un système extrêmement complexe et sa métamorphose vers un autre cadre de référence (par exemple que c’est la rareté et non l’abondance des ressources qui est la réalité) est un processus long qui ne peut se faire seulement en quittant une situation que l’on n’aime pas mais qui doit nécessairement passer par la définition d’une situation que l’on veut atteindre, un but ou l’équivalent d’un point de fuite en dessin.
C’est particulièrement vrai si on espère que le changement se fera en évitant, autant que faire se peut, les situations de chaos. Je crois qu’un de ces espace dans lequel pourrait grandir et se développer une situation alternative vers ou aller est apparue à cet élection et c’est ce que j’ai essayé d’exprimer.
Chose certaine, j’ai hâte de voir le déroulement du futur mais je suis plutôt optimiste.
Merci pour ton commentaire, Yvess